Je souhaite vous parler de stratégie dans des situations non décisives a priori. Je vais d'abord vous présenter le contexte avant d'exposer les points techniques de cette partie.
I°) LE CONTEXTE
On connaît Yurv Lagoda, multiple champion d'Ukraine, souvent présent dans les RDV internationaux, même si désormais il semble devancé par Anikaev et Daria Tkachenko.
On connaît forcément Bassirou Ba, GMI patiné, multi champion d'Afrique, multi vainqueur de tournois internationaux, même si au Sénégal et en Afrique il montre des signes d'essoufflement ces derniers temps.
Le premier est un excellent joueur dont le niveau international est avéré; le second est un joueur du meilleur niveau mondial qui ne le cède qu'aux champions du monde titrés ou réellement candidats.
Les deux joueurs se sont rencontrés à Delf 2007 dans une partie que j'avais dans un premier temps jugé indigne de ce niveau, eu égard à la facilité avec laquelle Bassirou Ba l'a emporté sur Lagoda.
Mais en revoyant la partie, je me suis dit qu'il s'agissait d'une mine d'enseignement sur les approximations stratégiques. Pour tous ceux qui ont lu des ouvrages ou des études axés sur la stratégie, je pense qu'il faudrait voir cette partie qui présente les cas d'école de ce qu'il ne faut pas faire ou de ce qu'il faut faire dans deux ou trois situations.
II°) LA PARTIE
Jusqu'au 12e temps, on assiste du côté de Lagoda à une récitation sans faille d'ouverture classique d'abord, de préparation pour un pion taquin ou de poursuite de classique ensuite. Aucun défaut, c'est du solide et la cosntruction respire la confiance en soi, tout en restant souple.
Du côté de Bassirou Ba, c'est le choix d'une position d'attente avec occupation de case permettant de prendre des décisions le plus tard possible.
Voici la position après 12. 40 34

Trait aux noirs
A ce stade, aucune décision n'est faite quand au type de partie et il est diffile d'imaginer réellement quelles suuites seront jouées.
Brusquement, Lagoda joue
12. 4-10
Il ne s'agit pas dun mauvais coup en soi, même s'il est déconsillé de jouer de la sorte pour au moins trois raisons :
on annonce précocement des possibilités à l'adversaire ;
on créé une lourdeur
on amenuise la souplesse de jeu.
D'accord, d'accord ! On peut le faire délibérément, même face au meilleur joueur du monde. On a vu Georgiev s'amuser à le faire contre Tchizof dans le dernier mondial dans un thème de weiss dont le caractère précoce est considéré comme défavorable. Gantwarg s'est souvent permis de prendre des risques de cette nature contre les meilleurs (Dybman, Wiersma, Tchegolev)en jouant des Ghestem d'entrée de jeu ou, dans des position proche du diagramme en jouant 19-24. Prosman aussi a joué des parties à la fois engagée et risquées, perdant parfois de manière brutale contre Tchizof ou Schwarzman, mais l'emportant sur d'autres joueurs russes au point de se faire remarquer !
Prises en connaissance de cause, les positions risquées sont une sorte de défi. Elles imposent une grande précision dans le développement. face à des joueurs très expérimentés, la moindre approximation fournit alors une foule d'informations qui risquent d'aboutir à un écroulement brutal (j'ai parfois été victime de cet état des choses contre Baliakine, Schwarzman ou, récemment Clerc).
Après 12. 4-10, Lagoda va se mettre à jouer d'une manière telle que le très expérimenté Bassirou Ba va sentir que son adversaire ne sait pas où il va !
13. 39-33 18-22 ?
Je sais, plusieurs vont me dire que ce coup est jouable. Il l'est. Simplement, il est très faible.
Face à un probléme de lourdeur, le plus traditionnel est de préparer un allègement de la structure. dans le cas de Lagoda, il aurait fallu organiser la montée ou la mobilité de la colonne de pions 19,14,10 et 5. ce était possible soit commençant le mouvement 13. ....19-23, soit en choisissant le dangereux pionnage 10-24 (faible en raion de l'absence de pion noir en 28 et à cause des risque d'immobilisation par la réaction 34-30).
Mais face à une lourdeur, on peut aussi choisir le très élégant style du contre-jeu. C'est une manière courante de procéder chez les esprits bagarreurs (Gantwarg, Wiersma, Dybman, Schwarman, Samb, Ndonzi), spectacle et... risques assurés !
Le contre-jeu idéal aurait alors été de jouer le pion taquin par 13. ... 21-27.
Lagoda finira par jour le pion taquin, mais dans des conditions inutilement vulnéables face à un bassirou Ba qui compte les approximations et qui s'organise pour attendre que le fruit mûr tombe de lui-même !
Au 17e temps, trait aux noirs, voici la position.

Trait aux noirs
Les coups valables pour les noirs ne sont pas nombreux !
1°) Pionner par 18-23 est tentant, mais cela fragilise tellement la structure qu'il faudrait bien une quarantaine de mn pour faire le tour d'horizon en intégrant une profondeur de deux temps : trop risqué ! En cas de coup de dame, les pièces blanches restantes seraient trop exposées alors que les pièces blanches sont solidement protégées.
2°) il reste l'occupation de la cas 13 : elle doit se faire par 8-13 pour se ménager, selon la tournure des événements, la possibilité future d'un pionnage par 18-23 ou d'un pionnage par la remontée 19-23 suivie de 14-19. Tous les autres coups sont très faibles, voire perdants.
Et Lagoda choisist l'un de ces coups très faibles :
17. ... 9-13 ??
Ce choix ne présente que des défauts : il retarde la possibilité de pionner par 18-23 d'un temps qui peut être crucial; il supprime littéralement la possibilité du pionnage par remontée 19-23. Je me demande si la partie n'est pas terminée la-dessus !
Bassirou a senti le coup !
18. 48-43 !
Ce mouvement se prépare à interdire à terme toute mobilité à la pièce 13, et du coup toute mobilité aux noirs !
La suite impose aux noirs la perte d'un pion sans compensation.
Cela a l'air si facile !
je vous laisse voir l'intégralité de la partie dans la trosisème ronde de l'open de Delf 2007 (DUWO Rabobank Open).
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